18. ARNE VINZON

« La poésie est un espace de liberté où tout est permis »

Quand, en mai dernier, Limsa d’Aulnay a repris Les Otaries du groupe Arne Vinzon dans l’émission Fanzine sur YouTube, le rappeur a fait (re)découvrir à une génération entière l’ovni qu’elle avait raté. La chanson en question a fait le tour des enceintes tout l’été, en provoquant une vague de curiosité vis-à-vis du groupe difficile à saisir entièrement. Avec plusieurs albums à se mettre sous la dent, on découvre un univers qui pourrait être le fruit d’un accouplement entre Dave Gahan, Alain Bashung, et le film Wrong Cops de Quentin Dupieux. Il faut écouter plus d’une fois leurs chansons pour apprécier pleinement le monde post-new wave électro et bizarrement triste d’Arne Vinzon. Alors pour en savoir plus, on est allé embêter le visage et la voix réconfortante du groupe, Arnaud Vincent.

Arne Vinzon est difficile à saisir. Comment considérer votre musique ? Il y a eu ce qui paraissait comme une blague chez Hanouna à l’époque, ou d’une manière bien plus sincère pour beaucoup d’autres. Le principal, c’est qu’on écoute ?

Effectivement, Arne Vinzon, comme son nom bizarre l’indique, semble difficile à suivre. Certaines personnes considèrent nos chansons comme de vastes fumisteries et se trouvent face à elles comme des poules devant un couteau. Le passage chez Cyril Hanouna, qui nous a tout de même rendu bien service en termes de visibilité ou plutôt d’auditivité, a entretenu ce malentendu. Le buzz autour de Lente dépression a provoqué quelques déferlements de haine sur les réseaux sociaux. En dehors des traditionnelles insultes, on m’a conseillé d’aller me pendre. Bon désolé, pour le moment, j’ai autre chose à faire. Mais je ne comprends pas bien cette détestation. Nous sommes un petit groupe indépendant, autofinancé ou soutenu par de petits labels comme « Dokidoki », « Studio Bonito », « Pavillon » pour le prochain album et « Objetrouvé » pour la ressortie prochaine du premier opus « Dans les bulles, tu disparais… ». Je ne crois pas que nous envahissons les ondes. Si les gens n’aiment pas, qu’ils passent leur chemin et cueillent d’autres champignons.

Heureusement, nous avons rencontré un petit public très fidèle qui nous suit régulièrement et nous envoie de chaleureux messages car ils se retrouvent dans notre univers. Nous les en remercions ; cela nous encourage à poursuivre nos expérimentations dans l’espace confidentiel que nous avons créé et où nous nous sentons bien. Nous ne cherchons pas à faire douze Stade de France. Nous avons nos métiers respectifs, en parallèle de notre activité artistique. Pour ma part, je suis professeur de français au collège et je prends très à cœur cette mission qui me semble aussi importante que mes chansonnettes. Le lâche assassinat de Dominique Bernard par un fou de Dieu m’horrifie. Mais elle montre à quel point la tâche obscure que nous menons au sein de l’éducation nationale est indispensable à la République et comme elle dérange les barbares armés d’un couteau qui tuent un homme sans défense. Il faut que chaque professeur continue de lutter dans sa petite salle de classe pour éveiller les esprits. Quand je vois la violence, la bêtise et la vulgarité de la société actuelle, il me semble que chaque goutte de culture, d’esprit critique ou de tolérance est vitale.

Quels artistes, groupes, vous ont éveillé à la musique, à l’art ?

J’ai connu deux grands chocs esthétiques durant mon adolescence.

Le premier a été l’écoute de l’album « Dazzle Ships » de OMD. J’étais fan de ce groupe mais l’audace de cet ovni et le virage qu’il représente dans leur discographie ont changé ma perception de la musique. Il n’y a pas que des chansons magnifiques comportant mélodies et refrains, il y a aussi tout un travail bruitiste faisant intervenir des horloges parlantes, des sons de machines industrielles, des voix venues du monde entier. Le tout compose une sorte d’objet étrange, mélodieux et philosophique, autour du temps et de l’espace, que l’on parcourt intensément à bord de ces navires éblouissants.

Le second a été la découverte du film « Le Fantôme de la Liberté » de Luis Bunuel, projeté par Antenne 2 le soir de la mort du réalisateur. Je ne connaissais pas du tout son œuvre et j’ai été dès le début transporté dans un univers étrange où toutes les valeurs et les logiques traditionnelles sont bouleversées. Je garderai toujours en mémoire cette scène d’anthologie où des familles bourgeoises se retrouvent dans un salon propret, assises sur des WC et parlant d’excréments et d’urine, alors que pour manger, il faut se rendre discrètement au fond du couloir, avec la peur de prononcer le mot de « nourriture ».

Ces deux œuvres m’ont marqué pour toujours et j’y vois l’origine des univers étranges et décalés que je propose.

Enfin, je suis tombé de l’armoire en découvrant « Whiskey » le premier album de Jay-Jay Johanson. Depuis j’ai acheté tous ses albums. C’est mon chouchou. J’adore sa voix, ses mélodies et en plus, alors que je fais rarement attention aux paroles des chansons en anglais, là je comprends presque tout. God bless Jay-Jay.

Pour la littérature, je citerai Georges Simenon, sa puissance évocatrice, l’économie et la justesse de chacune de ses phrases, l’acuité de ses analyses psychologiques qui ne comportent aucun jugement. Je m’attache à lire toute son œuvre et je suis rarement déçu, toujours bouleversé.

En ce qui concerne le dessin et la peinture qui sont mes autres grandes passions, j’ai été bercé depuis mon enfance par l’école de Marcinelle (Jijé, Franquin, tous les auteurs du journal de Spirou) ainsi que la ligne claire de Hergé. J’ai été aussi marqué plus tard par le peintre Edward Hopper, l’auteur de BD Charles Burns ou les images du cinéaste Aki Kaurismaki. Son dernier film « Les feuilles mortes » est fabuleux.

Comment la musique s’est retrouvée à être le vecteur d’une pensée, d’un discours ? Est-ce que le média importe finalement ?

À la fin des années 90, j’ai mené une revue d’art « 9/9, revue d’art pratique » avec mon grand ami Stéphane Argillet qui fait au moins 1m85. Le journal papier s’accompagnait d’un CD où nous convions différents musiciens. Progressivement, nous y avons intégré nos premières compositions. Et finalement, après 6 numéros, nous avons lâché la revue pour ne plus faire que ça, Stéphane avec La Chatte et Peine Perdue, moi avec Arne Vinzon.

Effectivement, le média importe peu. J’éprouve autant de plaisir à faire un dessin ou une peinture. Je serais l’homme le plus heureux du monde si je parvenais enfin à faire une BD. Mais c’est extrêmement difficile et je ne suis pas encore satisfait de mes nombreuses tentatives dans ce domaine. Je vais essayer une nouvelle fois. Je croise les doigts mais cela s’annonce ardu et très très long à mener.

Comment se passe la composition ? Difficile d’accès à la première écoute, c’est souvent au bout d’un certain temps qu’on devient accro à vos chansons. Où se cache l’ingrédient secret qui les rend entêtantes ?

Il y a deux méthodes. Soit je me balade en forêt et j’enregistre sur dictaphone les textes et les lignes mélodiques qui me viennent. Puis on part de ces enregistrements pourris pour faire le morceau. Évidemment, à l’arrivée, on a parcouru du chemin. Soit je pars des musiques que mes acolytes me proposent et je glisse dedans les textes que je trouve. On procède ensuite ensemble à l’enregistrement et aux arrangements.

Je n’ai fait qu’un EP tout seul, « La dernière flèche », que je voulais très minimal. Je suis content de l’avoir achevé mais je ne renouvellerai pas l’expérience je pense, car je déteste les machines et elles me le rendent bien. De temps en temps toutefois, je glisse dans les albums des compositions purement vocales comme « Trépidant » sur « Jeunesse éternité ».

Pour ma part, je ne trouve pas mes chansons difficiles d’accès. Mais c’est normal car elles me sont naturelles. En même temps, je ne comprends pas comment les chansons de Jay-Jay Johanson par exemple, dont je parlais tout à l’heure, ne passent pas toutes les heures à la radio, elles sont tellement accrocheuses, ni comment on nous submerge de bouses à longueur de journée. Je ne citerai pas de nom. Les goûts, les couleurs…

Il y a toujours eu une forme de poésie dans la marginalité. Comment la perçoit-on, à l’étape de la création ? Une forme de liberté ? On la ressent aussi dans les clips.

La poésie est effectivement un espace de liberté où tout est permis. C’est ça qui est rigolo. Pour les clips, je les réalise la plupart du temps tout seul, avec les moyens du bord et pour trois francs six sous. Certains sont dessinés, d’autres filmés. J’apprécie les esthétiques simples, presque pauvres, qui me semblent bien coller avec la modestie que je recherche dans les textes. Après, même si la réalisation d’un clip est en soi une aventure passionnante, je suis obligé de passer par des machines, ce qui me déplaît au plus haut point. Je ne suis donc pas sûr d’en faire de nouveau. Je préfère peindre ma nouvelle BD. Je m’entends beaucoup mieux avec mes pinceaux et mes panneaux de contreplaqué.

Il y a quelques mois, le rappeur Limsa D’Aulnay a repris Les Otaries dans une émission sur YouTube. Ça a re-actualisé la chanson pour beaucoup de gens de ma génération. Limsa l’a même repris pendant toute sa tournée des festivals. Vous avez suivi ça de loin ? Le mélange des genres, des univers à son plus grand niveau !

Oui j’ai découvert cette reprise par hasard. J’ai été très touché par ce choix et je trouve sa reprise très réussie. Je l’ai remercié via Instagram et il m’a répondu fort gentiment. J’espère le croiser un jour pour se raconter des blagues.

Après Jeunesse Eternité il y a deux ans, du nouveau côté musique ? Ou un livre de dessins comme ceux qu’on voit de temps à autre sur votre compte Instagram ?

Un nouvel album réalisé avec Matthieu Devos devrait sortir l’année prochaine sur le label « Pavillon ». Il regroupera d’anciennes chansons que nous avons faites mais qui n’étaient pas ou mal diffusées. Il y aura aussi de nouvelles compositions. Matthieu était parti pour développer d’autres projets et nous nous retrouvons de nouveau. C’est un grand plaisir de retravailler avec mon cher cousin. Mon premier album autoproduit « Dans les bulles tu disparais… » que j’ai fait avec François Tarot en 2001 devrait aussi bientôt connaître une nouvelle jeunesse grâce au label « Objetrouvé » de Stéphane Argillet.

« Notre nom sera oublié avec le temps, nul ne se souviendra de nos actions » Cette réplique, c’est pour conjurer le sort et vaincre la peur d’un artiste de ne pas survivre au temps ? Arne Vinzon est prédestiné à être oublié ?

C’est une conviction profonde qui ne me plonge dans aucune forme de tristesse ou de désespoir. On vit sa vie, on fait des trucs et puis on part. Ce n’est pas bien grave. D’autres verront ce qui tombe dans l’oubli et ce qui survit. De toute façon, la fin de l’univers est programmée dans 3,7 milliards d’années. Arrivera donc le jour où j’aurai eu raison.

LA PLAYLIST D’ARNE VINZON

OMD – International 

On demande souvent aux gens la chanson qu’ils souhaiteraient lors de leurs funérailles. En dehors du fait que je ne veux pas de prêtre et que je souhaite qu’on balance mes cendres en Gironde dans l’océan Atlantique, j’aimerais que cette chanson déchirante m’accompagne. Lorsque Andy Mac Cluskey se met à gueuler, il est capable de faire hérisser mes poils brûlés une dernière fois.

Jay Jay Johanson – Why wait until tomorrow 

David Bowie – I’m deranged 

This Mortal Coil – Baby ray baby

Les Brochettes – Disco novo

Andreas Dorau – Nordsee

Reymour – Tomber (Un groupe belge épatant, à découvrir absolument)

Nicolas Jaar – Keep me there (tout l’album « Space is only noise » est fascinant)

Alberto Iglesias – Moon River 

Les films de Pedro Almodovar ne seraient pas aussi beaux sans les bijoux que compose Alberto Iglesias. Cette sublime chanson, si pure, accompagne l’une des scènes les plus dures de La mauvaise éducation. Un terrible contraste.

Ennio Morricone – Per qualche dollaro in più 

Lorsque j’étais enfant, je sifflais tout le temps. Un jour, j’ai demandé à ma mère de m’inscrire au conservatoire de St Germain-en-Laye car je voulais apprendre la trompette ; je me disais que cet instrument me correspondrait bien. Pour une raison que j’ignore, le professeur de l’époque, M.Picherand (je me rappellerai toujours de son nom car je lui en veux terriblement) a proclamé que j’étais trop jeune et nous a conseillé de m’inscrire à des cours de clarinette. Ma gueule ne devait pas lui revenir… Nous avons bêtement obéi et j’ai suivi à contrecœur et mollement, pendant 3 ou 4 ans, des cours de cet instrument que je n’avais pas choisi et que j’ai fini par abandonner sans grand regret. Pourtant c’est beau la clarinette…

En revanche, j’ai toujours continué de siffler et j’ai fait mon apprentissage auprès d’Ennio Morricone et de son extraordinaire siffleur attitré, Alessandro Alessandroni. Celui-ci disait : « Tout le monde sait siffler, mais la plupart des gens ont 50% d’air, 50% de son. Quand je siffle, il y a 90% de son et 10 % d’air ». Il ajoutait que lorsqu’il procédait aux enregistrements avec un micro ultrasensible : « La pureté du son est essentielle. Sergio Leone avait coutume de plaisanter à ce sujet avec moi : « Il faut que tu siffles comme un dieu, ce matin, c’est très important » ».

Tous les matins, pendant des mois, dans la voiture qui me menait au travail, je me suis entrainé en l’écoutant. Il y a et il y aura toujours des sifflets dans mes albums ; c’est ma trompette à moi. En fait, je crois que je préfère siffler que chanter.

Je sais que ça ne se fait pas mais j’en rajoute une onzième et qui plus est d’un artiste déjà présent dans la liste, mais comme c’est mon chouchou, de toute façon, il a tous les droits :

Jay Jay Johanson – Advice to my younger self  (un boléro déchirant)

Entretien réalisé en octobre 2023.

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